Application difficile de l'exemption du PM pour les "spin-offs".
En 2019, le législateur a introduit une nouvelle exemption du précompte mobilier (PM) pour les opérations dites de spin-off. Dans une circulaire de l'époque, l'administration fiscale a apporté des précisions sur les conditions d'application et a abordé quelques cas concrets (circulaire n° 2020/C/55 du 20 avril 2020). Certains cas de ces dernières années montraient déjà la difficulté d'application de l'exonération. La jurisprudence récente confirme désormais que l'application de l'exonération du précompte mobilier n'est effectivement pas toujours évidente en pratique, compte tenu des conditions d'application strictes.
Ce qui a précédé : les opérations de spin-off
Dans les newsletters précédentes (newsletter du 27 juin 2019 et newsletter du 23 avril 2020), nous avons déjà expliqué l'exonération du précompte mobilier pour les opérations dites de spin-off, telle qu'introduite par la loi du 28 avril 2019 à l'article 264, premier alinéa, 4° du CIR92. L'exonération s'applique aux résidents belges sur les opérations qui ont lieu à partir du 1er janvier 2019.
L'exonération se réfère spécifiquement à la distribution de nouvelles actions d'une société cotée en bourse par une autre société cotée en bourse (dans laquelle le contribuable a d'abord investi), qui a acquis les actions en échange de l'apport d'une division commerciale ou d'une branche d'activité. Il s'agit donc d'une combinaison spécifique d'opérations, les actions étant distribuées à l'investisseur sous la forme d'un dividende en nature. Étant donné qu'aucun enrichissement effectif de l'investisseur n'est intervenu économiquement à la suite de l'opération, le législateur a estimé qu'une exonération de ce type d'opérations était nécessaire.
L'exemption est toutefois soumise à pas moins de sept conditions strictes qui doivent être remplies cumulativement pour être applicable.
Jurisprudence récente : arrêt du tribunal de première instance de Gand du 9 octobre 2024
La jurisprudence s'est déjà penchée à plusieurs reprises sur la question des spin-offs au cours des dernières années. Récemment, c'est le tribunal de première instance de Gand qui s'est prononcé sur la question (Trib Gand 9 octobre 2024, AR 22/3072/A).
Dans l'affaire soumise au Tribunal, un résident belge détenait des actions d'une société américaine cotée en bourse (DowDuPont) sur un compte-titres belge. Une opération de spin-off a eu lieu, par laquelle la société américaine a été scindée en trois sociétés distinctes, chacune hébergeant une activité différente (dans deux sociétés par le biais d'une opération d'apport). Le contribuable a reçu les actions nouvellement émises par les deux sociétés auxquelles une activité a été apportée par DowDuPont. Cette émission de nouvelles actions s’est traduite par une distribution de dividende en nature provenant de DowDuPont. La banque belge a retenu le PM à ce titre. Le contribuable n'était pas d'accord et a introduit une demande de remboursement.
Premiers arguments : pas de dividende imposable
Avant d'invoquer la disposition relative à l'exonération des opérations de spin-off, le contribuable a également avancé d'autres arguments pour justifier le remboursement du PM. Par exemple, selon le contribuable, il n'y avait pas de dividende imposable au départ. Mais ces arguments n'ont pas convaincu le tribunal.
Le tribunal de Gand a jugé qu'une distribution d'actions en nature dans le cadre d'une opération de spin-off d'une société américaine constituait bien un dividende imposable au sens de l'article 18, al. 1, 1° CIR92. Pour ce faire, il s'est notamment référé à la définition légale large du terme "dividende", qui comprend "tous les avantages attribués par une société aux actions, parts et parts bénéficiaires, quelle que soit leur dénomination, obtenus à quelque titre et sous quelque forme que ce soit"
En outre, le Tribunal a rejeté le point de vue selon lequel le dividende imposable devait être limité à l'enrichissement réel de l'actionnaire à la suite de l'opération de spin-off. Ce faisant, le Tribunal va explicitement à l'encontre d'un arrêt antérieur de la Cour d'appel de Mons du 14 janvier 2022 (Mons 14 janvier 2022, 2020/RG/475). Cet arrêt aurait d'ailleurs fait l'objet d'un pourvoi en cassation entre-temps, a précisé le juge. Cet arrêt a fait l’objet d’un pourvoir en cassation et la Cour a annulé l’arrêt de de la Cour d’Appel de Mons (Cass. 2 janvier 2025, F.22.0112.F/1).
Enfin, le contribuable a également invoqué une violation de l'article 1er du premier protocole additionnel à la CEDH ("jouissance paisible des biens") en se référant à un arrêt de la Cour suprême des Pays-Bas du 24 décembre 2021. Mais cet argument a également été rejeté par le tribunal de Gand, car il n'y aurait pas de "dividende fictif".
Rejeter l'exemption du PM sur les spin-offs
Par la suite, le tribunal de Gand a également rejeté l'application de l'exonération des spin-offs parce que le contribuable n'avait pas prouvé que les sept conditions étaient remplies.
Plus précisément, le Tribunal a jugé qu'il n'avait pas été (suffisamment) démontré que la septième condition était remplie, à savoir que l'opération pouvait être considérée comme "fiscalement neutre ou exonérée" dans le pays où l'opération de spin-off a eu lieu (les États-Unis en l'occurrence). Les documents présentés par le contribuable ne démontraient pas que l'opération avait été réalisée en pratique de manière neutre sur le plan fiscal ou exonérée d'impôt, ils ne faisaient que discuter du traitement fiscal attendu.
En outre, le Tribunal a également brièvement évoqué, dans un souci d'exhaustivité, le fait que l'administration fiscale avait relevé qu'il n'était pas non plus démontré que l'émission d'actions était réalisée en contrepartie d'un apport d'une branche d'activité (quatrième condition).
Il est à noter que l'administration fiscale avait déjà indiqué dans sa circulaire de 2020 relative à cette opération qu'il n'était pas possible d'établir que les conditions d'exonération étaient remplies. Plus précisément, l'administration se référait ici aussi à la condition de l'apport d'une branche d'activité.
Décision
L'énumération de quelques cas concrets par l'administration fiscale dans la circulaire 2020 (comme la transaction DowDuPont) montrait déjà la difficulté de la preuve pour l'investisseur de réclamer cette exemption du PM. Ceci est désormais confirmé par la jurisprudence. Les exigences du Tribunal en matière de preuve peuvent être irréalisables en pratique pour un investisseur belge. Les autres arguments avancés par le contribuable pour justifier la récupération du PM sont également rejetés par cette jurisprudence.
Les corporate actions entraînent depuis longtemps des conséquences fiscales parfois injustes pour les investisseurs privés. En ce qui concerne les spin-offs, l'incertitude est loin d'être levée. Néanmoins, dans la pratique, il peut être judicieux d'examiner les opérations et de vérifier si les conditions d'exonération sont remplies.
Bien entendu, nous restons à votre disposition pour toute question complémentaire.