2. À la suite d’une jurisprudence souvent positive, l’administration fiscale a considéré, dans sa circulaire du 15 mai 2018, que la distinction dans le calcul de l’avantage imposable selon que cet avantage est accordé par une personne physique ou par une personne morale était inconstitutionnelle. Dans cette hypothèse, l’avantage calculé devait être multiplié par un facteur de 1 (dans le cas de la mise à disposition par une personne physique) ou par un facteur de 3,8 (dans le cas d’une mise à disposition par une personne morale, en supposant que le RC non indexé soit supérieur à 745 EUR1).
Afin d’éliminer cette différence de traitement, l’article 18, § 3, 2 de l’AR/CIR92 a dû être adapté. Au moment de la publication de la circulaire, on examinait encore (en interne) quelle était « la meilleure façon d’y parvenir » (cf. circulaire 2018/C/57, point 5).
Le ministre des Finances a déjà annoncé une modification de la réglementation dans sa réponse à une question parlementaire du 25 avril 2018 : « Toutefois, afin de mettre fin à la violation du principe d’égalité, tel que prévu à l’article 18 de l’AR/CIR92, une proposition concrète de solution définitive sera présentée par le gouvernement dès que l’administration en aura achevé l’examen juridique et budgétaire complet » (Quest. parl. n° 25058, P. Vanvelthoven, 25 avril 2018, Comm. fin. Chambre, Criv 54 Com 878, 38).
Lors du conseil des ministres du 30 mars 2018, ils ont annoncé qu’ils avaient donné pour mission d’analyser l’évaluation de cet avantage en nature pour les logements afin d’éliminer la discrimination actuelle et de rapprocher l’évaluation du prix du marché.
3. C’est maintenant fait. L’arrêté royal du 7 décembre 2018 modifiant l’AR/CIR92 en ce qui concerne les avantages de toute nature résultant de la mise à disposition gratuite de biens immobiliers ou de parties de biens immobiliers, tel que publié au Moniteur belge du 27 décembre 2018, remplace le premier et le deuxième alinéa de l’article 18, § 3, 2 de l’AR/CIR92 comme suit :
« L’avantage est fixé forfaitairement à 100/90 du revenu cadastral provenant de biens immobiliers non bâtis ou de parties de ceux-ci.
Pour les immeubles bâtis ou les parties de ceux-ci, l’avantage est fixé forfaitairement à 100/60 du revenu cadastral, multiplié par 2. »
L’arrêté s’applique aux avantages payés ou attribués à compter du 1er janvier 2019.
4. Dans le Rapport au Roi précédant l’arrêté royal, il est mentionné que l’administration fiscale a soumis les arrêts en question (cf. Gand, 24 mai 2016 et Gand, 20 février 2018) à une analyse juridique approfondie afin de vérifier si, d’une part, il existait des arguments techniques pour justifier la distinction entre un avantage accordé par une personne physique et un avantage accordé par une société et d’autre part, si et sur quelle base un pourvoi en cassation pouvait être introduit.
Néanmoins dans les deux cas, le verdict fut négatif. Dans le premier cas, tous les arguments techniques avaient déjà été avancés au cours des procédures judiciaires mais ils ont été ignorés par les tribunaux/cours d’appel. Dans le second cas, selon l’administration fiscale, il n’est pas possible d’introduire un pourvoi devant la Cour de cassation étant donné que, concrètement, il ne s’agit pas d’une violation d’un article de loi mais d’une violation du principe constitutionnel d’égalité (dixit les cours d’appel).
5. Dans la nouvelle réglementation, il n’y a plus de distinction selon que le RC (non indexé) du bien immobilier ou de la partie de celui-ci dépasse ou non 745 euros.
6. En outre, le choix d’appliquer le facteur 2 serait le résultat de chiffres tirés de la pratique desquels il ressort que le calcul suivant le facteur 2 est celui qui correspond le mieux au loyer mensuel qu’une personne doit payer elle-même pour un logement similaire.
Dans l’avis 64.538/3 du Conseil d’État du 27 novembre 2018, de sérieux doutes ont été exprimés à cet égard quant à savoir si la réglementation projetée est de nature à se rapprocher le plus possible de la valeur réelle de l’avantage pour l’acquéreur. Le Conseil d’État a considéré que le fondement légal des nouvelles règles se trouve à l’article 36, § 1er, deuxième alinéa, du CIR92 (« Les avantages en nature reçus autrement qu’en espèces doivent être évalués à la valeur réelle pour l’acquéreur »), dans la mesure où ces règles visent à se rapprocher de la valeur réelle pour l’acquéreur (cf. article 36, § 1er, alinéa 1er, du CIR92).
Et c’est là où le bât blesse, selon le Conseil d’État. Si l’on se réfère à l’avis de l’Inspection des finances, il semble qu’il n’y ait pas d’« études » ni de « chiffres tirés de la pratique ». Selon la cellule politique du ministre des Finances, l’avantage a été calculé avec un facteur 2 sur la base de RC concrets et on a ensuite examiné si ces montants correspondaient à un loyer normal acceptable. Des échantillonnages ont été effectués par téléphone sans aucune suite écrite et ont été vérifiés auprès de certains cabinets comptables. Le Conseil d’État fait valoir que, compte tenu des motifs invoqués pour justifier les actes administratifs, la détermination réglementaire d’un ATN requiert au moins une justification chiffrée démontrant que l’avantage calculé correspond à la valeur réelle de l’avantage. Concrètement, l’Inspection des finances aurait effectué l’exercice sur la base de son propre logement. Avec l’application d’un facteur 2, un loyer de 746 euros serait un loyer correct. Sur la base de l’évaluateur des loyers du gouvernement flamand, elle pourrait cependant demander un loyer d’environ 1.100 EUR. Sur la base de cet échantillonnage, un facteur 3 aurait donc été plus correct. Bien que le Conseil d’État conclue que le fondement légal de la nouvelle réglementation, sur la base de ce qui précède, est très précaire, l’arrêté est adopté sans autre justification, en appliquant le facteur 2.
7. Le Conseil d’État rappelle également dans son avis que la différence de traitement selon qu’il s’agit de biens immobiliers situés en Belgique ou à l’étranger pose également un problème au regard du principe constitutionnel d’égalité, puisque la nouvelle réglementation se base toujours sur la notion de revenu cadastral, lequel n’existe que pour les biens immobiliers belges et ne s’applique donc pas aux biens immobiliers situés à l’étranger. Suivant le Conseil d’État, il serait préférable de travailler avec une "valeur locative" (diminuée, le cas échéant, de la contribution du bénéficiaire au prix de revient de l’avantage) plutôt qu’avec un « revenu cadastral » comme élément de référence. Néanmoins, son avis n’a pas été suivi dans l’arrêté royal final. Le problème du bien immobilier étranger ne se posera qu’à titre très exceptionnel, à savoir dans le cas où un employeur belge met gratuitement un bien immobilier étranger à la disposition d’un travailleur qui est résident belge. L’adaptation des règles d’évaluation pour cette situation spécifique serait disproportionnée pour tout le monde au regard des inconvénients. Le Rapport au Roi mentionne donc également que la problématique de l’inégalité de traitement entre immobilier belge et européen sera résolue par une réglementation distincte, ce qui pourrait conduire à un nouvel arrêté royal en matière d’avantages pour la mise à disposition gratuite d’un bien immobilier.
8. Le 24 décembre 2018, l’administration fiscale a communiqué le taux d’intérêt applicable pour l’année calendrier 2019 en cas de défaut de paiement vis-à-vis du Trésor, tel que prescrit par l’article 414, § 1er, alinéa 3, du CIR92. Le taux d’intérêt visé à l’article 414, §1, alinéa 2, du CIR92 sera de 4 % (comme c’était déjà le cas pour l’année calendrier 2018) (cf. Avis du 24 décembre 2018 de l’Administration générale Expertise et support stratégique - Service Réglementation).
Source: Arrêté royal du 7 décembre 2018 modifiant l’AR/CIR92 en ce qui concerne les avantages de toute nature résultant de la mise à disposition gratuite de biens immobiliers ou de parties de biens immobiliers, MB 27 décembre 2018, p. 103303 (Rapport au Roi et Avis du Conseil d’État 64.538/3 du 27 novembre 2018).
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Ellen Vandingenen – Associate (ellen.vandingenen@tiberghien.com)
Ben Van Vlierden – Partner (ben.vanvlierden@tiberghien.com)
1 Si le RC non indexé est inférieur ou égal à 745 EUR, l'avantage calculé sera multiplié par un facteur 1,25. Cf. infra.