Pro memorie:
La taxe Caïman trouve son origine dans la loi-programme du 10 août 2015[1] et a été immédiatement corrigée rétroactivement par la loi du 26 décembre 2015[2]. Par la suite, la loi-programme du 25 décembre 2017 a introduit toute une série d'ajustements à ce système, que nous avons baptisé « Taxe Caïman 2.0 ».[3] En introduisant une taxation par transparence à l'impôt des personnes physiques et morales, les revenus perçus par l'intermédiaire des « constructions juridiques » sont attribués fiscalement aux « fondateurs » comme s'ils avaient eux-mêmes perçu directement ces revenus. La deuxième variante de la taxe Caïman réside dans l'imposition des distributions à un bénéficiaire, la distribution étant imposée comme un dividende, sauf s'il peut être démontré qu'elle est composée de revenus qui ont déjà été imposés ou de capital apporté, et ce avec l'application de la règle dite d'antériorité.
Les modifications les plus importantes sont énumérées ci-dessous et accompagnées de quelques brefs commentaires le cas échéant. Nous tentons également d'examiner certaines remarques formulées par le Conseil d'État ainsi qu’une partie des modifications supplémentaires apportées à la version précédente de l'Exposé des Motifs. Ce faisant, il est important de noter que le Conseil d'État lui-même déclare qu'il n'a pas eu le temps de soumettre chacune des dispositions de l'avant-projet à un examen approfondi et que les observations formulées ne sont que le résultat d'un premier examen, sans aucune garantie que tous les problèmes fondamentaux ont été détectés et analysés de manière adéquate. L'avis doit être lu avec cette réserve explicite. En outre, le Conseil d'Etat dit littéralement : « Il ne faut donc pas déduire automatiquement de la constatation que rien n'est dit sur une disposition de cette section que rien ne peut être dit à son sujet et, si quelque chose est dit à son sujet, qu'il n'y a plus rien à en dire. Il appartiendra à la Cour constitutionnelle de se prononcer, le cas échéant, sur l'inconstitutionnalité soulevée ». Cela peut être lu comme un avertissement au gouvernement qui met en garde contre un ou plusieurs recour(s) en annulation devant la Cour constitutionnelle.
En résumé, le gouvernement fait plus que jamais de la taxe Caïman un système fiscal autonome qui a encore du mal à s'intégrer dans le reste du CIR. La logique est en effet complètement perdue. Cela rend l'interprétation de ces règles extrêmement difficile dans la pratique et peut-être même, dans plusieurs cas, très incertaine et impossible à appliquer. C'est particulièrement le cas pour ce que l'on appelle les « structures intermédiaires » et l'abolition du principe « exemption vaut impôt ». Ceci est évident dans le passage de l’Exposé des Motifs qui dit textuellement :
« De plus, la taxe Caïman peut s'avérer dans certains cas plus avantageuse qu'une alternative à laquelle elle ne s'applique pas. Bien que la taxe Caïman ait justement été introduite afin de prévenir l'évasion fiscale, les contribuables demandent de plus en plus à tomber délibérément sous le coup de la taxe Caïman afin de se retrouver dans une situation fiscale avantageuse. Ce n’était pas l’intention du législateur à l’époque. »
Ce que le gouvernement dit ici en réalité, c'est qu'il n'a pas très bien compris les conséquences de la taxe Caïman et qu'il n'est pas prêt à accepter la logique du système qu'il a conçu. Il n'est donc pas vraiment cohérent.
Les constructions en chaîne deviennent des constructions intermédiaires
En résumé, jusqu'à présent, une « construction en chaîne » a été comprise comme un ensemble de constructions juridiques formées par une construction mère et toutes ses filiales. Il est essentiel que chacune des entités prises isolément soit qualifiée de construction juridique. Dans la mesure où une entité de la chaîne n'est pas qualifiée de construction juridique, la qualification de « construction en chaîne » n'est pas possible pour toutes les entités sous-jacentes. En vertu de la réglementation actuellement en vigueur, les constructions en chaîne sont donc soumises à la taxe Caïman dans les cas où des constructions juridiques sont superposées. L'application de la taxe Caïman est par conséquent logiquement interrompue dans le cas où la chaîne est rompue par une entité qui ne peut être qualifiée de construction juridique. Le gouvernement y voit - à tort - une forme d'évasion, alors qu'il s'agit de la logique de la taxe elle-même.
La ‘solution’ actuellement proposée par le projet de loi consiste en l'extension du champ d'application de la définition de « fondateur » et en la suppression du terme « construction en chaîne » qui est remplacé par l'utilisation du terme « construction intermédiaire ». Alors que la disposition légale actuellement applicable de l'article 2, §1, 14°, quatrième tiret du CIR limite le champ d'application aux détenteurs « des droits juridiques des actions », ce projet de loi propose d'étendre le champ d'application à ceux « qui détiennent directement ou indirectement via une chaîne de constructions intermédiaires les droits juridiques ou économiques des actions ou parts ». Cela élargirait considérablement le champ d'application. En outre, l'utilisation du terme « construction intermédiaire » permet également de viser les chaînes de constructions juridiques dont toutes les entités ne sont pas des constructions juridiques en tant que telles.
Malgré la possibilité théorique d'introduire de telles mesures, la mise en œuvre concrète n'est pas réaliste. Comme l'ont déjà montré les discussions concernant le registre UBO, il n'est pas évident, voire souvent ‘impossible’, d'obtenir d'une personne physique des informations suffisantes sur l'entité arrière-petite-fille de l'entité arrière-arrière-grand-mère, sur la manière dont cette entité est contrôlée, afin d'effectuer l'analyse fiscale d'un point de vue belge. En conséquence, la taxe Caïman deviendra tout simplement matériellement inapplicable dans de nombreux cas.
En outre, le gouvernement déclare dans l’Exposé des Motifs :
« Suite à l'avis du Conseil d'État, il est précisé que cette nouvelle façon de procéder n'augmente pas le risque de double imposition. Il n'en va pas de même si une construction non juridique est interposée. En effet, l'exonération de ces revenus mobiliers peut toujours être demandée en vertu de l'article 21, 12°, CIR 92, dont le champ d'application est élargi dans le présent projet. »
Ceci n'est évidemment pas correct. D'une part, le système devient totalement illogique. D'autre part, le champ d'application de l'article 21, premier alinéa, 12° du CIR est déjà fortement limité par la suppression du principe "exemption vaut impôt" (voir ci-dessous).
Le projet de loi souligne que, malgré l'extension du champ d'application susmentionnée, le système a encore ses limites. Il stipule notamment que l’imposition par transparence ne s'applique qu'aux constructions juridiques elles-mêmes et ne peut être appliquée aux constructions intermédiaires ‘normalement taxées’. Ceci est bien sûr assez évident, mais rend l'ensemble terriblement complexe, en particulier lorsque des distributions sont effectuées entre les constructions mères et les filiales. Il est également souligné que - malgré le large champ d'application des constructions intermédiaires - cela ne devrait pas signifier que les oganismes d'investissement ou les sociétés cotées en bourse visées à l'article 2, §1, 13°/1, premier alinéa du CIR pourraient également qualifier de construction intermédiaire (en dehors du cas des fonds dédiés). Il est ainsi spécifié dans l’Exposé des Motifs :
« Suite à l'avis du Conseil d'Etat, il a de nouveau été examiné si la distinction entre les structures simulées et les structures qui sont inspirées par des objectifs légitimes de planification patrimoniale est suffisamment claire et univoque. Suite à cet examen, il a été décidé d'exclure dorénavant les organismes de placement alternatifs privés de l'application de la taxe Caïman, à l'exception des cas où une participation dans un fonds dédié est établie. »
Il est intéressant de lire que le gouvernement souhaite faire la distinction entre les « structures simulées » et les « structures qui sont inspirées par des objectifs légitimes de planification patrimoniale ». Après tout, les premières sont frauduleuses et n'entrent donc pas dans le champ d'application de la taxe Caïman. Il reste donc à savoir ce que l'on entend exactement par « structures qui sont inspirées par des objectifs légitimes de planification patrimoniale ». Sont-elles également hors du champ d'application de la taxe Caïman ? Il nous semble que non.
Enfin, l'article 5/1 du CIR est complété par de nouvelles règles visant à atténuer la taxation au pro rata par transparence dans le cas où la construction juridique n’est pas détenue à 100% par le biais d'une structure intermédiaire. Il y aurait alors uniquement une taxation au pro rata dans la mesure où le fondateur détient indirectement les droits juridiques ou économiques des actions de la construction juridique sous-jacente (qui est alors une filiale) par le biais de cette structure intermédiaire ou de la chaîne de structures intermédiaires. Il s'agit de la logique même de la taxe, bien entendu.
Plus-values sur actions realisees
Afin d'éviter les situations Caïman ‘avantageuses’, les conditions d'application de l'article 21, premier alinéa, 12°, du CIR sont renforcées, en ne permettant désormais plus l'exonération, lors de leur distribution, des revenus qui sont exonérés conformément à leur régime fiscal belge (conformément au dicton « exemption vaut impôt »). Cela aurait pour effet, par exemple, qu’une plus-value réalisée sur des actions par une entité soumise à la taxe Caïman constituerait toujours un dividende imposable lors de la distribution. C'est totalement illogique, bien sûr. À l'heure actuelle, une telle distribution - à juste titre - n'est pas un dividende et n'est donc pas imposable.[4] On peut se demander si cette inégalité de traitement est compatible avec le principe d'égalité, ainsi qu'avec le droit à la libre circulation des capitaux et à la liberté d'établissement.
Suite à l'avis du Conseil d'Etat, il est précisé que cette modification ne devrait pas affecter l'application des conventions. Pour illustrer ce propos, l’Exposé des Motifs cite l'exemple de la SCI française qui réalise des plus-values immobilières qui sont exonérées par la convention.
« Lorsque ces revenus sont ensuite distribués sous forme de dividendes à un habitant du Royaume, le projet a pour effet que l'article 21, 12°, CIR 92 ne peut être invoqué pour exonérer ce dividende. Bien entendu, cela n'empêche pas d'invoquer d'éventuelles autres dispositions du CIR 92 ou la convention préventive de la double imposition qui pourraient atténuer l'imposition du dividende. »
Ce que l'on oublie alors de mentionner, c'est que, sur la base de l’AR EEE, qui est maintenant intégré dans le texte de loi, cette situation n'est pas du tout soumise à la taxe Caïman (déjà en vigueur depuis le 1er janvier 2018), précisément parce que les plus-values immobilières en question sont exonérées par convention (voir l'article 1er, alinéa 2, en lien avec l'article 1er, alinéa 3, de l’AR EEE). Cela a donc apparemment été négligé à ce jour, que ce soit parce que le même effet est e.a. obtenu via le nouvel article 21, premier alinéa, 12° du CIR. Ou comment se perdre dans la complexité que l’on créée soi-même. Une remarque, cependant, est que l’AR EEE n'a apparemment pas été repris dans son intégralité, car la disposition actuelle sur l’« exclusion CPDI » de l'article 1, deuxième alinéa, de l’AR EEE n’est pas mentionnée.
L’interaction de la transparence fiscale avec la distribution durant la même année civile
Selon le projet de loi, il y a actuellement une discussion sur l'interaction du régime de transparence tel que prévu à l'article 5/1, §1, alinéa 10 du CIR, et la distribution à savoir quel moment prévaut : le moment de l'attribution à la construction juridique entraînant une imposition transparente, ou le moment de la distribution effective par la construction juridique (au cours de la même année civile). Le choix entre les deux moments est important d'un point de vue fiscal, en ce sens que, selon le moment choisi, certains revenus perçus par la construction juridique ne sont pas imposés, alors qu'ils seraient imposables en tant que dividendes en cas de distribution effective. Selon le nouveau projet de loi, l'article 5/1, §1 du CIR est modifié pour préciser que les revenus obtenus par le biais de la construction juridique sont toujours imposés de manière transparente, même s'ils sont redistribués au cours de la même année civile. Cette modification est également conforme aux décisions anticipées existantes sur ce point.
Il s'agit de la discussion plutôt technique de l'art. 5/1, §1, dixième alinéa du CIR qui a déjà été abordée en 2017 et qui refait surface. En effet, l'actuel article 5/1, §1, dixième alinéa du CIR se lit comme suit : « Le présent paragraphe n'est pas applicable aux revenus payés ou attribués par la construction juridique ». Il ressort de l'exposé accompagnant le projet de loi-programme du 25 décembre 2017 qu'une construction juridique est transparente dans le chef du fondateur en ce qui concerne les revenus perçus, mais qu'elle ne l'est pas en ce qui concerne les revenus distribués.[5] En outre, l'exposé des motifs indique littéralement que l'article 5/1, §1, alinéa 10 du CIR vise à éviter que cet article 5/1, §1 du CIR ne soit invoqué pour contrer une qualification de dividendes des revenus distribués la même année par la construction juridique.[6] Toutefois, avec cette disposition particulière, le système perdait son caractère de transparence fiscale parfaite et l'on aboutissait (en convertissant la nature du revenu en dividende) à une forme de transparence fiscale imparfaite.[7] Avec l'introduction de cette nouvelle précision, cette situation est donc atténuée et le système - en ce qui concerne ce point - conserve sa parfaite transparence, sans conversion de la nature du revenu. Attention, avec la modification de l'article 21, 1er alinéa, 12° du CIR et la suppression du principe « exemption vaut impôt », celle-ci sera alors à nouveau complètement altérée.
Fonds dédié – actionnariat
Ce projet de loi propose de lutter contre « l’évitement » de l'actionnariat du fonds dédié. En effet, dans la pratique, selon la Cour des comptes, il arrive que des ‘hommes de pailles’ soient recrutés pour remplir la fonction de personne non liée/actionnaire - en leur donnant une participation minimale - afin de les soustraire à l'application de la taxe Caïman. Ainsi, il est désormais prévu qu’une participation minimale de 50 % par des personnes non liées entre-elles, entraîne la qualification de fonds dédié. Avec cette nouvelle disposition, un compartiment sera également soumis à la taxe Caïman si, par exemple, 51 % des actions sont détenues par une famille, même si 49 % des actions sont détenues par des « tiers » non apparentés. En vertu des règles actuelles, ce n'est pas le cas. Dans certaines situations, cela est complété par un renversement de la charge de la preuve. En effet, une présomption légale est établie dans le cas où le gestionnaire d’actifs du compartiment reçoit des instructions spécifiques de personnes détenant les droits de ce compartiment pour acheter ou vendre certains instruments financiers, ou dans le cas où il n'y a tout simplement aucun gestionnaire d'actifs indépendant. Ainsi, la taxe Caïman deviendrait également applicable dans ces cas.
En outre, les textes prévoient que les OPC publics, institutionnels et privés ne seront soumis à la taxe Caïman que s'il s'agit d'un fonds dédié compartiment ou d'un fonds. Strictement parlant (contrairement aux règles actuelles), cela s'applique également aux fonds situés en dehors de l'EEE. La seule chose ennuyeuse est que la notion d'OPC renvoie à des concepts typiques du droit européen, notamment, entre autres, « l'organisme de placement collectif alternatif de droit belge ou de droit étranger dont le gestionnaire répond aux conditions de la directive 2011/61/UE du Parlement européen et du Conseil du 8 juin 2011 sur les gestionnaires de fonds d'investissement alternatifs, conformément à la loi du 19 avril 2014 relative aux organismes de placement collectif alternatifs et à leurs gestionnaires, en vertu du droit interne d'un État membre de l'Union européenne ou en vertu du droit interne d'un pays tiers ». En pratique, il n'est pas toujours évident de prouver que les OPC basés en dehors de l'EEE remplissent les conditions de la directive 2011/61/UE. Nous osons espérer que le SPF Finances fera preuve d'une certaine souplesse dans son application, afin que les OPC de pays tiers ne soient pas traités de manière nettement plus désavantageuse que les OPC basés dans l'EEE.
Concomitance de la taxe caïman et de l'article 19bis du cir
Le Conseil d'Etat s'est enquis auprès du gouvernement de l'éventuelle concomitance de revenus soumis à la fois à l'article 19bis du CIR et à la taxe Caïman, comme par exemple dans le cas de revenus d'intérêts provenant d'un fonds dédié. Le gouvernement a répondu qu'en pratique, les fonds dédiés sont utilisés pour détenir des portefeuilles d'actions plutôt que des obligations, et qu'une telle concomitance semble peu probable dans la pratique. En soi, il ne s'agit certainement pas d'une situation évidente, d'autant plus qu'il suffit en principe d'investir plus de 10% en titres de créance pour tomber dans le champ d'application de l'article 19bis du CIR.
Le gouvernement précise encore que « dans l'hypothèse théorique où il y aurait néanmoins concomitance, tant l'article 19bis CIR 92 que l'article 18 CIR 92 ont pour effet que le précompte mobilier de 30 p.c. doit être retenu sur ces revenus mobiliers, sauf, bien entendu, si les revenus ont déjà été imposés antérieurement via la taxe Caïman et peuvent donc être exonérés via l'article 21, alinéa 1er, 12°, CIR 92 ». Le seul problème qui découle de cette concomitance est donc un problème théorique de classification. Il s'agit alors de revenus qui peuvent être qualifiés à la fois de dividendes (article 18 du CIR) et d'intérêts (article 19bis du CIR). En pratique, cela ne pose pas de problème car le taux du précompte mobilier (ou taux d’imposition, à l’impôt sur les revenus) est le même. Si l'application de l'article 18 du CIR et de l'article 19bis CIR aboutit à un montant de revenus mobiliers différent, il convient de retenir le plus élevé des deux montants. L'argument selon lequel cela reviendrait à soumettre deux fois le même revenu au précompte mobilier ne tient toutefois pas. Ce n'est pas parce qu'une distribution est qualifiée de revenu mobilier de deux manières différentes qu'elle serait soumise à une double imposition ».
Nous ne sommes pas tout à fait d'accord. Si les revenus d'intérêts d’un compartiment fonds dédié ont été initialement taxés à 30% via la taxe Caïman, il peut y avoir double imposition si, au cours d'une année ultérieure, l'investisseur cède à titre onéreux ses actions dans l'OPC à un tiers. Dans ce cas, l'application de l'article 19bis CIR à la cession à titre onéreux ne peut être empêchée par l'article 21, 1er alinéa, 12° du CIR, qui n'a que le pouvoir d'exonérer les distributions imposables. Nous partageons donc la position du Conseil d'Etat selon laquelle les auteurs de l'avant-projet devraient prévoir une réglementation légale dans laquelle cette concomitance est clairement - et définitivement - traitée.
Revenus fictifs résultant d’un transfert de siège vers la Belgique
L'article 5/1, §2 du CIR est modifié dans le projet de loi afin de clarifier les conséquences fiscales d'un transfert vers la Belgique. L'idée sous-jacente est de décourager le transfert de capitaux détenus dans une construction juridique vers une autre construction juridique et d'encourager le transfert de ces capitaux vers la Belgique. Afin de qualifier correctement les revenus qui deviennent alors imposables à la suite du transfert du siège d'une construction juridique ou du transfert de capitaux d'une construction juridique vers une autre construction juridique, cette partie de l'article 5/1, §2 du CIR est transférée dans un nouvel article 18, premier alinéa, 3°/1 du CIR, qui qualifie ces revenus de dividendes (fictifs). La question qui se pose ici est évidemment de savoir si, au sein de l'EEE, il devrait y avoir une différence fiscale entre un transfert vers la Belgique et un transfert vers un autre pays de l'EEE. Nous pensons que non.
Exit Tax
Une ‘exit tax’ est insérée à l’article 18, alinéa 1, 3°/1 du CIR lorsque le fondateur transfère son domicile fiscal à l'étranger. Pour en adoucir l'application (cf. article 5 de la directive ATAD), un paiement échelonné est prévu à l'article 413/1 du CIR.
Cet amendement a une portée plus grande qu'il n'y paraît à première vue. Tout d'abord, il n'est pas clair comment l'intégrer dans l'ensemble du CIR, ce qui n'est mentionné nulle part dans le projet de loi. En outre, cela défavorise fortement la position de la Belgique dans le commerce mondial, ainsi que la communauté internationale des affaires présente en Belgique. C'est surtout un problème pour la partie du monde qui est basée sur la culture juridique anglo-saxonne, par exemple les Américains et les Anglais qui utilisent généralement les trusts comme un outil de planification "normal" pour leurs actifs et leurs successions. Les concernant, cette pratique est très courante. En effet, lors d'un décès au sein de leur famille, les héritiers vivant en Belgique peuvent soudainement se retrouver "piégés" par une « exit tax » latente, qui est alors due lorsqu'ils retournent dans leur pays d'origine.... Ils percevront - à juste titre - cela comme un problème majeur qui est soudainement créé ici, faisant de notre pays un « territoire à éviter ». Pour un petit pays comme la Belgique, dont le commerce international est florissant et qui compte de nombreux expatriés, cette situation est néfaste. En outre, le champ d'application de cette exit tax n'est pas limité à la « période belge », de sorte que les plus-values latentes constituées en dehors de la Belgique sont également imposables.
Il faut espérer que le Parlement s'en rendra compte à temps et qu'il adoptera une approche différente en proposant un amendement. Il est peut-être possible de trouver une solution dans l'idée de « structures qui sont inspirées par des objectifs légitimes de planification patrimoniale », comme cela est suggéré à plusieurs endroits dans l’Exposé des Motifs.
La règle du « 3 en 1 »
Afin d'éviter les « manipulations » consistant à attendre la période imposable au cours de laquelle la construction juridique perd sa qualification pour procéder à une distribution, le projet de loi propose que les règles spéciales applicables aux distributions effectuées par des constructions juridiques (c'est-à-dire les règles de l'article 18, premier alinéa, 3° juncto article 21, premier alinéa, 12° juncto article 21, deuxième alinéa, du CIR) s'appliquent également aux distributions effectuées par des entités qui ont été qualifiées de constructions juridiques au cours d'au moins une des trois périodes imposables antérieures. Il s'agit donc d'une mesure anti-abus spécifique qui vise une situation dans laquelle la taxe Caïman ne s'appliquerait normalement pas. Il reste à voir comment cette règle complexe fonctionnera dans la pratique.
Exclusion de substance
Il est également proposé de renforcer et de réécrire l'exclusion dite de substance. Le fondateur peut toujours apporter la preuve que la construction juridique a une substance suffisante et qu'elle exerce donc une « activité économique » substantielle, soutenue par du personnel, de l'équipement, des actifs et des bâtiments. Afin d'éviter une interprétation trop large et ‘trop européenne’ (sic) de la notion d'« activité économique », le nouveau projet de loi en précise le sens. Concrètement, l'exercice d'une activité économique doit être compris comme l'offre de biens ou de services sur un marché donné. Par conséquent, les activités relatives à la gestion du patrimoine privé ou familial ne peuvent pas constituer une activité économique au sens de cette disposition.
Ensuite, l'activité économique doit également être substantielle, ce qui signifie qu'elle ne doit pas être un élément périphérique dans les activités globales de la construction juridique, mais qu'elle doit être une activité principale. Enfin, le concept présuppose également que l'activité économique s'appuie sur un ensemble de personnel, d'équipements, d'actifs et de bâtiments. Toutefois, il ne suffit pas de créer un minimum de substance en louant un bureau et en rémunérant un employé à temps partiel pour satisfaire à ce critère. L'ensemble du personnel, de l'équipement, des actifs et des bâtiments doit être crédible par rapport au chiffre d'affaires et à l'activité économique qui est censée être exercée.
Selon le projet de loi, il n'est pas prévu que cette exclusion de substance réécrite puisse être invoquée sans difficulté par toute construction juridique qui n'est pas une société boîte aux lettres pour la soustraire à la taxe Caïman. Il demeure donc nécessaire d'examiner si toutes les conditions susmentionnées ont été remplies.
Pour inspirer la clarification susmentionnée, une clause similaire prévue dans les articles de la directive ATAD qui traitent de l'introduction d'une mesure relative aux CFC a été envisagée. Il est également fait référence à la jurisprudence de la Cour de justice dans l'affaire Cadbury Schweppes, régulièrement citée dans la littérature, qui est à l'origine de l'exclusion de substance initiale mais qui, selon le nouveau projet de loi, a évolué depuis lors. En effet, selon le nouveau projet de loi, la clause incluse dans la directive ATAD va au-delà du concept de 'montages purement artificiels', qui limite stricto sensu l'application des mesures relatives aux CFC aux sociétés dites « boîtes aux lettres ».
Extension de l'obligation de déclaration et annexe obligatoire à la déclaration
Selon le projet de loi, la déclaration des constructions juridiques devrait également être obligatoirement complétée par une annexe spécifique à la déclaration, afin de faciliter le suivi administratif et de faciliter le suivi du rendement budgétaire de la taxe Caïman. Le projet de loi prévoit que toutes les données qui doivent déjà être déclarées actuellement soient reprises dans l'annexe à la déclaration, que cette annexe mentionne également les revenus obtenus par chaque construction juridique séparément, ainsi que les dividendes visés à l'article 18, premier alinéa, 3° et 3°/1 du CIR, y compris ceux exonérés en application de l'article 21, premier alinéa, 12° du CIR.
Stichting administratiekantoor de droit néerlandais
« Afin de remédier à un manque de clarté concernant la certification via les Stichting Administratiekantoren néerlandaises (STAK), technique utilisée par de nombreuses familles belges dans le cadre de la gouvernance d'entreprise, un passage a été inséré dans l'Exposé des Motifs afin d'éviter le problème de l'application indésirable de la taxe Caïman, tel qu'il menaçait de se manifester à la suite des mesures envisagées.
« Dans le cadre d'une meilleure distinction entre les structures simulées et les structures qui sont inspirées par des objectifs légitimes de planification patrimoniale, il est clarifié que dans le cas de la certification d'actions, de parts ou d'autres actifs sous-jacents, l'application de l'article 13 de la loi du 15 juillet 1998 relative à la certification de titres émis par des sociétés commerciales doit être prise en considération. Cet article prévoit une transparence fiscale à prendre en compte lors de l'application du mécanisme général de transparence prévu par la taxe Caïman. La loi précitée stipule que, dans le cas des certificats, ceux-ci sont traités de la même manière que les titres auxquels ils se rapportent. Sur le plan fiscal, cela signifie que les certificats ne sont pas considérés comme des "titres" distincts et que, par conséquent, aucune plus-value ou moins-value n'est réalisée lors de la certification ou de l'annulation de ces certificats. En application de l'article 13 de la loi du 15 juillet 1998 précitée, le détenteur des certificats, et non l'émetteur de ces certificats, est considéré comme le bénéficiaire direct des dividendes provenant de ces titres. »
Ce passage de l’Exposé des Motifs, qui est la source prééminente pour l'interprétation de la loi, confirme la suprématie de la loi sur la certification, ce qui signifie que les questions soulevées concernant l'imposition des plus-values sont en principe écartées.
Il est possible que le Service des Décisions Anticipées rende encore une décision définitive dans le cas d'espèce.
Il reste le problème de la « STAK-BM » (STAK – Société simple) qui, à proprement parler, ne peut relever de l'article 13 de la loi sur la certification. Toutefois, à la lumière de la non-soumission à la taxe Caïman de la Stichting Administratiekantoor néerlandaise - par le biais de l'article 13 de la loi sur la certification - ainsi que de la transparence fiscale totale de la société simple belge, dont les revenus sont directement attribués aux actionnaires, il est possible de conclure qu'il ne peut être question de soumettre à la taxe Caïman la société certifiée, dans laquelle les actions d'une société simple belge sont certifiées par le biais d'une Stichting Administratiekantoor néerlandaise. Dans ce cas, il y a une attribution immédiate des revenus aux associés, il n'y a donc pas de capital variable et il n'y a pas non plus de différence de traitement fiscal entre les revenus et les plus-values avant ou après la certification.
Tout comme la société simple ordinaire, qui est un instrument normal de planification patrimoniale pouvant être utilisé par les contribuables pour façonner le paysage économique, la société certifiée l'est également. Ce faisant, il ne devrait donc pas y avoir de discrimination entre la situation où les participations sont soit a) non certifiées, soit b) certifiées par l'intermédiaire d'un « bureau fiduciaire » belge, soit c) certifiées par l'intermédiaire d'une Stichting Administratiekantoor néerlandaise. Fiscalement, il n'y a pas de différence. Ce principe de neutralité fiscale a également été confirmé dans plusieurs décisions anticipées, tant avant l'introduction de la taxe Caïman (Décision anticipée n°500.127 du 24.11.2005 ; Décision anticipée n°500.124 du 23.06.2005 ; Décision anticipée n°600.439 du 19.12.2006 ; Décision anticipée n°800.096 du 03.03.2009) qu'après l'introduction de la taxe Caïman (Décision anticipée n°2015.538 du 22.12.2015; Décision anticipée n°2016.613 du 18.10.2016). Il n'y a donc aucune raison d'appliquer davantage les règles de la taxe Caïman dans un tel cas, puisque la transparence fiscale ordinaire est déjà parfaitement appliquée. Il faut donc s'attendre à ce que le Parlement remédie à l'incertitude juridique qui s'est installée dans ce cas également.
La différence avec la transparence fiscale fondée sur d'autres dispositions
L'avis du Conseil d'Etat pose la question de savoir s'il existe une différence de traitement justifiée entre les entités dont la transparence fiscale découle de la taxe Caïman et les entités qui sont transparentes en application d'autres dispositions. Cet avis fait ensuite spécifiquement référence à la transparence fiscale d'une Société simple lorsque l'exonération se répercute sur la distribution à l'associé. L’Exposé des Motifs cite maintenant un certain nombre de passages destinés à conforter la Société simple. Ceci est surprenant car la société civile ne tombe pas du tout sous le champ d’application de la taxe Caïman. En revanche, ces ajouts mettent en lumière les motivations sous-jacentes des amendements législatifs proposés.
Ainsi, il est précisé dans l’Exposé des Motifs :
« En réponse à cela, on peut dire que la différence ainsi créée est très certainement justifiable. Dans ce contexte, il convient de rappeler que l'objectif premier de la taxe Caïman n'est pas de soumettre le plus grand nombre possible d'entités au régime fiscal ‘Caïman’, mais que ce régime vise avant tout à avoir un effet dissuasif en détournant les contribuables de l'utilisation de telles structures pour pratiquer l'évasion fiscale. Au contraire, le régime vise à les encourager à emprunter les voies autre que celles visées par le régime Caïman. »
« Les constructions juridiques soumises à la taxe Caïman ont en commun, d'une part, d'être peu ou pas soumises aux impôts sur les revenus dans l'État d'origine et, d'autre part, de disposer de peu ou de ne pas avoir de substance, ce qui signifie qu'elles n'ont pas grand-chose à voir avec la vie économique normale. La société de droit commun (renommé lors de l’introduction du Code des sociétés et associations en 'société simple'), en revanche, est un instrument normal qui peut être utilisé pour façonner le paysage économique. »
« Une deuxième différence essentielle réside dans le fait que les constructions juridiques, y compris celles dépourvues de personnalité juridique, ont pour effet de créer des patrimoines flottants non soumis à la taxe Caïman, dont les revenus échappent dans de nombreux cas à l'impôt et ne peuvent pas être simplement attribués à une personne physique. Cette question ne se pose pas du tout dans le cas des sociétés simples, car dans ces dernières, les revenus sont automatiquement attribués aux associés sous-jacents. »
« De même qu'en vertu du principe d'égalité, la différence de traitement fiscal entre les sociétés sans personnalité juridique et les sociétés avec personnalité juridique ne constitue pas une discrimination injustifiée, la différence de traitement fiscal entre une construction juridique sans personnalité juridique et une société simple ne constitue pas non plus une discrimination injustifiée. En effet, les différences entre les deux cas sont trop essentielles pour être comparables. »
Qualification de fondateur sur base du registre UBO
L'article 2 §1, 14° du CIR est complété par une présomption supplémentaire de la qualification de « fondateur », sous réserve de la preuve du contraire et compte tenu de tous les faits et circonstances pertinents. La présomption s'applique à toute personne physique, désignée dans le registre UBO belge ou étranger comparable, comme bénéficiaire effectif d'une société, d'une fiducie, d'un trust, d'une fondation, d'une association sans but lucratif, ou d'une structure similaire à une fiducie ou à un trust, qui est également une construction juridique. Il s'agit donc d'une présomption réfutable, qui s'ajoute simplement aux cinq autres définitions du fondateur.
Entrée en vigueur
Cette taxe Caïman 2.1 entrerait en vigueur, conformément à l’article 43 du projet de loi, pour les distributions à partir du 1er janvier 2024 d'une part et, d'autre part, pour les revenus obtenus par le biais de constructions juridiques à partir du 1er janvier 2024. Rien n'est dit sur les droits acquis pour les réserves accumulées dans des constructions juridiques au cours de la période 2015/2023. Il semble donc que l'intention soit de commencer à taxer la distribution des « anciennes plus-values exonérées d'impôt » en tant que dividendes à hauteur de 30 % à partir du 1er janvier 2024. Voici comment un gouvernement dont le premier ministre est libéral va sournoisement introduire une taxe sur les plus-values de 30 %.
Quant à l'annexe à la déclaration d'impôt, elle entrera déjà en vigueur à partir de l’exercice d'imposition 2024.
Conclusion
Sous la bannière « Taxe Caïman 2.1 », la taxe Caïman fait l'objet d'une modification substantielle. Certaines des mesures proposées soulèvent de sérieuses questions quant à l'égalité de traitement et à la proportionnalité de la mesure. L'introduction insidieuse d'une taxe de 30 % sur les plus-values, en violation des engagements antérieurs, fait également froncer les sourcils et pose question.
Il va de soi que nous suivons cela de près pour vous et que nous vous tiendrons informés dès qu'il y aura des nouvelles/clarifications à ce sujet. A suivre !
[1] Loi Programme du 10 août 2015, MB 18 août 2015.
[2] Loi du 26 décembre 2015 relative aux mesures concernant le renforcement de la création d'emplois et du pouvoir d'achat, MB 30 décembre 2015, ed. 2.
[3] Loi Programme du 25 décembre 2017, MB 29 décembre 2017, ed. 1.
[4] Travaux parlementaires, Chambre 2014-2015, nr. 54-1125/009,46.
[5] Travaux parlementaires, Chambre 2017-18, 6 novembre 2017, Doc. 54-2746/001, p. 182.
[6] Travaux parlementaires, Chambres 2017-18, 6 novembre 2017, Doc. 54-2746/001, p.36.
[7] G.D. GOYVAERTS, “De kaaimantaks 2.0. Een kritische commentaar bij de aanpassing van de kaaimantaks door de wet van 25 december 2017”, TFR 2018, afl. 545, 653.